
Ophelie Ricci/ ARB idF
Qu’est-ce qu’une friche ? Une définition complexe et plurielle
Il n’existe pas de définition universelle des friches, tant leur nature est diverse et complexe. Cette difficulté s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, les friches sont des espaces hétérogènes, marqués par leur histoire et les milieux qu’elles abritent. Elles peuvent être d’anciennes zones industrielles, des jardins ou des parcelles agricoles abandonnées. Leur composition est tout aussi variée : bâtiments désaffectés, surfaces minéralisées, prairies, espaces boisés ou milieux récemment perturbés.
Les friches suscitent également des perceptions contradictoires, qui varient selon les acteurs concernés. Un riverain, un habitant, un urbaniste, un élu, un écologue ou même un artiste n’auront pas la même vision de ces espaces. Enfin, les friches se distinguent par leur évolution constante. Ce ne sont pas des lieux figés : elles se transforment au fil du temps, ce qui les rend particulièrement difficiles à saisir.
Pourtant, les friches ont en commun les notions d’abandon, de césure ou de déprise. Comme le souligne Raffestin [1], « la friche marque la fin d’une territorialité spécifique […]. Elle est donc un indicateur de changement, un indicateur du passage de l’ancien à l’actuel, du passé au futur par un présent de crise ». En ce sens, les friches sont des espaces en attente, dont les nouvelles fonctions restent à définir. Ce sont aussi des lieux où l’activité humaine s’est arrêtée, laissant la nature reprendre progressivement ses droits. Mais loin d’être vides, ces espaces se révèlent être des refuges essentiels pour la faune et la flore, devenant ainsi de précieux réservoirs de biodiversité.
Récemment, la loi Climat et Résilience (n°2021-1104 du 22 août 2021) a introduit une définition juridique des friches dans l’article L.111-26 du Code de l’urbanisme. Elles y sont décrites comme des biens immobiliers, bâtis ou non, inutilisés et nécessitant des travaux pour un réemploi. Toutefois, cette vision reste centrée sur la lutte contre l’artificialisation des sols, considérant les friches comme de simples réserves foncières. Or, ces espaces jouent un rôle crucial pour la préservation de la biodiversité et méritent d’être reconnus comme des alliés précieux dans les politiques environnementales.
Les liens avec la biodiversité
Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence l’importance des friches pour la conservation de la biodiversité en milieu urbain [2]. À titre d’exemple, une étude menée en 2007 par le Muséum national d’Histoire naturelle [3] a révélé qu’en Île-de-France, dans un département fortement urbanisé comme les Hauts-de-Seine, 60% de la flore de ce territoire (présente dans les bois, étangs, berges, cimetières, jardins publics et privés…) se (re)trouve dans les friches urbaines ! Ce résultat concorde avec d’autres études réalisées dans plusieurs grandes villes européennes, qui affirment que les friches jouent un rôle clé en tant que réservoirs de biodiversité en ville [4].
Ces espaces sont également propices à l’accueil d’espèces ayant des besoins écologiques spécifiques, souvent sensibles à la gestion ou fréquentation humaine, comme le Bouillon blanc, le Chardon crépu ou la Fauvette grisette. Enfin, ces milieux en libre évolution jouent un rôle essentiel dans le maintien des continuités écologiques. Elles constituent des corridors permettant le déplacement et la dispersion des espèces au sein de la matrice urbaine, favorisant ainsi la connectivité et renforçant la trame verte.
Les friches abritent également une grande variété d’espèces exogènes [5]. En Île-de-France, des plantes méditerranéennes, telles que la Chondrille à tigesde Jonc ou l'Inule fétide, s’épanouissent dans les friches, poussées par le changement climatique qui les incite à remonter vers le nord. D’autres espèces d’origine plus lointaine, comme le Séneçon du Cap, le Scolyme d’Espagne, la Vergerette du Canada ou le Fraisier d’Inde, arrivent par les différents transports humains. Ces nouvelles arrivées semblent s’intégrer à la flore spontanée comme l’ont fait les coquelicots, adonis ou la Nielle des blés il y a plusieurs millénaires [6].
Les friches urbaines : espaces de densification ou de nature ?
Bien que certaines friches constituent un gisement précieux pour la densification, notamment celles fortement artificialisées, d’autres se sont transformées en véritables espaces de nature, abritant une biodiversité abondante. Certaines d’entre elles représentent même les dernières opportunités de recréer des milieux naturels dans des secteurs particulièrement urbanisés. Une meilleure connaissance de ces friches, notamment grâce à des inventaires écologiques préalables, est donc essentielle avant toute intervention. En effet, tout projet de requalification des friches, même s’il se veut « vert » (transformation en parcs, jardins, agriculture urbaine, etc.), peut aboutir à la destruction de leur patrimoine naturel et à une réduction de leurs potentialités écologiques.
Friches et renaturation spontanée
Les friches sont le théâtre de la renaturation dite spontanée. Contrairement à la renaturation active, qui nécessite des interventions humaines comme la plantation de végétaux ou la reconstitution du sol, la renaturation spontanée repose sur la résilience des écosystèmes et la capacité de la nature à se régénérer d’elle-même au fil du temps. Ce processus présente l’avantage de ne générer aucun coûtfinancier ou environnemental. De plus, les écosystèmes ainsi régénérés deviennent de véritables laboratoires à ciel ouvert, capables de s’adapter aux changements d’usage du sol et aux évolutions climatiques. Pourtant, la renaturation spontanée reste encore largement sous-estimée, et les enjeux qui y sont associés souvent négligés. Trop souvent, ces espaces sont considérés comme dégradés et sont donc ciblés par des projets d’aménagement.
Cette dynamique de colonisation spontanée a particulièrement été étudiée en Allemagne sur les forêts urbaines spontanées à Berlin [7]. Certains parcs emblématiques de la ville sont issus de cette approche, à l’image du Natur-Park Schöneberger Südgelände, fruit de la renaturation d’un ancien site ferroviaire laissé à l’abandon. Cet espace de 18 hectares est resté inaccessible pendant près de 50 ans, avant l’ouverture au public en 2000. Sa conception a préservé les espèces existantes, sans intégrer de nouvelles plantations. L’entretien du parc est minimal et se limite aux cheminements. Dans les années 2010, un inventaire a relevé 366 espèces de plantes, 49 espèces de champignons, 49 espèces d’oiseaux, 14 espèces d’orthoptères, 57 espèces d’araignées et 95 espèces d’abeilles sauvages, dont plus d’une soixantaine est menacée [8].
[1] Raffestin C. (1997), « une société de la friche ou une société en friche », Collage, n° 4, p. 12-15.
[2] Bonthoux, S., Brun, M., Pietro, F.D., Greulich, S., & Bouché-Pillon, S. (2014). How can wastelands promote biodiversity in cities? A review. Landscape and Urban Planning, 132, 79-88.
[3] Muratet, A., Machon, N., Jiguet, F., Moret, J., & Porcher, E. (2007). The role of urban structures in the distribution of wasteland flora in the greater Paris area, France. Ecosystems, 10(4), 661-671.
[4] Herbst H, Herbst V. (2006). The development of an evaluation method using a geographic information system to determine the importance of wasteland sites as urban wildlife areas. Landsc Urban Plan 77:178–195
[5] https://www.arb-idf.fr/quelles-relations-entre-especes-exotiques-envahissantes-et-biodiversite-en-ile-de-france/
[6] Muratet, A., Muratet, M., Pellaton, M. (2022). Flore des friches urbaines. ISBN : 978-2-37896-364-4
[7] Kowarik, I. (2005). Wild Urban Woodlands: Towards a Conceptual Framework.
[8] Berlin, métropole naturelle Fiche n° 03bis - mai 2012 Le Naturpark Schöneberg Südgelande (Cerema) : http://paysages-territoires-transitions.cerema.fr/IMG/pdf/fiche_tvb3_berlin_version_courte.pdf