Des Listes rouges régionales pour l'Île-de-France

27 avril 2021ContactLucile Dewulf

 

Les Listes rouges sont des outils permettant de mettre en lumière le risque d’extinction qui pèse sur les espèces d’un territoire défini. Elles ont vocation à présenter un état des lieux pouvant servir de base à la priorisation d’enjeux de conservation. L’élaboration d’une Liste rouge comporte également une notion de dynamique temporelle, puisque cet outil est prévu pour être réexaminé tous les cinq ans, ce qui permet d’apprécier les progrès accomplis dans la conservation des espèces, ainsi que les efforts à poursuivre. Elles visent par ailleurs à informer et sensibiliser pour une meilleure prise en compte des espèces et de leurs enjeux, en amont des projets émis par les décideurs.

Si cet outil est mis en place au niveau national, européen, voire mondial, l’échelon régional a tout autant d’intérêt pour offrir une vision contextualisée des menaces qui pèsent sur les espèces et permettre la prise en compte de ces dernières à un niveau plus local, qui est également celui de l’aménagement du territoire.
Les Listes rouges constituent enfin des indicateurs fiables pour établir l’état de santé de la biodiversité. La Convention sur la Diversité Biologique (CDB), pour laquelle la France s’est d’ailleurs engagée à stopper l’érosion de la biodiversité sur son territoire, reconnaît en effet cet outil comme indicateur de référence pour suivre l’évolution du risque d'extinction pesant sur les espèces.

La méthodologie des Listes rouges, mise en place par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), est ainsi reconnue comme référence pour évaluer les menaces qui pèsent sur un groupe d’espèces. Elle permet par ailleurs une homogénéisation des indicateurs entre les différents territoires l’appliquant, et donne ainsi des résultats comparables à la fois entre régions, mais aussi entre taxons.

​Catégories de menaces attribuées par la Liste rouge (sources : UICN). Les acronymes standards correspondent à la dénomination des catégories en anglais : RE = Regionally Extinct, CR = Critically Endangered, EN = Endangered, VU = Vulnerable, NT = Near Threatened, LC = Least Concerned, DD = Data Deficient, NA = Not Applicable, NE = Not Evaluated.

L’élaboration d’une Liste rouge régionale fait appel aux experts et aux organismes référents des taxons ciblés. Elle repose sur la connaissance accumulée par les nombreux naturalistes de la région, professionnels comme bénévoles, les programmes et analyses mis en place par les chercheurs, notamment ceux de Vigie Nature (MNHN), les associations de protection de la nature, véritables relais locaux pour animer et mobiliser leur réseau d’acteurs, et toutes les autres structures participants à la préservation du patrimoine naturel francilien (Parcs naturels régionaux, Réserves naturelles régionales et nationales, …). Elle repose enfin sur la volonté de l’État, via la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France (DRIEE), et de la Région.

Actuellement, en Île-de-France, cinq groupes d’espèces ont bénéficié de l’évaluation permettant d’établir leur risque d’extinction : la flore vasculaire, les oiseaux nicheurs, les libellules, les papillons de jour et les chauves-souris.

 

Si les menaces peuvent varier en fonction des taxons, la comparaison entre les différents groupes évalués révèle que les Rhopalocères et les Zygènes (papillons de jour) sont les plus menacés en Île-de-France, avec plus de tiers des espèces menacé ou déjà disparu.
Les menaces qui pèsent sur les espèces peuvent également être analysées sous le prisme des grands milieux occupant le territoire francilien.


Les milieux agricoles

 

En Île-de-France, le sol est occupé à 51% par les milieux agricoles. Près de 90% de ces terres sont cultivées, majoritairement dévolues à la céréaliculture intensive : un contexte globalement défavorable à la biodiversité. Cela s’observe chez les oiseaux et notamment les espèces spécialistes des milieux agricoles, dont près de la moitié se situe dans une situation défavorable en Île-de-France (de [RE] à [NT]).

Les papillons de jour sont également sensibles à l’état des terres agricoles franciliennes. Groupe d’espèces typique des milieux ouverts, on retrouve les Rhopalocères et les Zygènes sur les pelouses, prairies, landes et autres habitats naturels baignés de soleil. Or, sur les communes agricoles franciliennes (où plus de 50% de la surface de la commune est cultivée), il y a en moyenne seulement 7% de surface herbacée (bandes enherbées, prairies de fauche, pâtures, jachères, friches agricoles) alors qu’il est recommandé d’en avoir un minimum de 20 % pour atteindre le seuil nécessaire au maintien d’une biodiversité fonctionnelle (LE ROUX et al., 2008), sans parler du type de gestion appliqué sur les espaces herbacés existants et impactant leur qualité. On observe ainsi que, dans les communes agricoles, la diversité en papillon de jour est bien moindre à la moyenne régionale qui est de 14 espèces.

 

Concernant les Odonates, toujours liés aux zones humides, on pourrait penser à première vue que les milieux agricoles ne comportent pas de grands enjeux pour eux. La situation est en réalité plus complexe, puisque les libellules ont besoin de l’imbrication de plusieurs micro-habitats, variables en fonction des espèces, pour pouvoir réaliser leur cycle complet. Certains de ces habitats faisant partie du paysage agricole, ils sont ainsi directement impactés par l’artificialisation du territoire due à l’intensification des pratiques : drainage des zones humides, dégradation ou destruction des mares, canalisation des cours d’eau, autant d’atteintes portées sur la fonctionnalité des écosystèmes qui viennent impacter l’équilibre et la viabilité des populations d’Odonates.

L’analyse des 400 espèces de plantes menacées met en exergue le fait que 44% d’entre elles sont associées aux pelouses, prairies ou landes, des milieux qui se sont raréfiés en Île-de-France suite à l’arrêt des pratiques agro-pastorales, la mise en culture et l’abandon des parcelles. Les plantes liées aux cultures comme les espèces messicoles sont dans un état très précaire, 12% d’entre elles sont menacées, et ont pour leur majorité disparu, à hauteur de 25%. Cette situation résulte, là encore, des pratiques agricoles intensives ne laissant plus de place aux espèces commensales non cultivées.

Les milieux forestiers

 

Les milieux forestiers composent près d’un quart du territoire francilien. Si d’apparence, ils apparaissent comme bien conservés car ayant bénéficié d’une prise en compte précoce, la situation est cependant contrastée en fonction des groupes d’espèces.

Concernant la flore, le pourcentage d’espèces menacées liées aux boisements et lisières est d’environ 10 %, alors que celui d’espèces disparues est de 7 %. En cause : la perte d’habitats, la fragmentation des boisements et la gestion sylvicole, qui viennent impacter un milieu jusqu’alors bien représenté et peu touché. Ce phénomène relativement récent montre que les éléments forestiers les plus fragiles commencent à se dégrader.

Sur les 17 espèces d’oiseaux spécialistes des milieux forestiers, seulement une d’entre elles est menacées ([EN]) et deux sont « Quasi menacées » [NT]. Il s’agit respectivement du Pouillot siffleur, du Pouillot fitis et du Bouvreuil pivoine dont la vulnérabilité est plus liée à leur caractère septentrional. D’autres espèces connaissent une tendance de leurs populations très positive, telles que la Grive musicienne, le Grimpereau des jardins et le Grosbec casse-noyaux.

Chez les papillons de jour, peu d’espèces peuvent être vraiment affiliées aux milieux forestiers et elles sont généralement plus sciaphiles (apprécient l’ombre) ou liées à des plantes-hôtes présentes en sous-bois. Les enjeux liés aux forêts résideront là plus dans la gestion sylvicole qui se doit d’être raisonnée pour respecter des cycles de production plus longs, un faciès irrégulier, un sous-bois riche en essences spontanées et des lisières graduées. Certains papillons sensibles à ce type de gestion ont ainsi déjà disparu en Île-de-France, tels que le Chiffre ou la Bacchante. Mais la plus lourde modification des boisements s’est opérée dans les fonds de vallées, le long des cours d’eau, où les boisements humides de ripisylves ont laissé place à l’exploitation des peupliers, transformant totalement le milieu. Certaines espèces, comme le Morio (classé « En danger » [EN]) ou le Grand Sylvain (classé « En danger critique » [CR]) ont ainsi vu leur habitat détruit.

Cette modification des fonds de vallée impacte également directement les odonates qui, en fonction des espèces, sont à la fois sensibles au type de milieu aquatique, mais également au contexte paysager. Ainsi, lorsqu’on hiérarchise les enjeux de conservation des libellules franciliennes en fonction de leur type d’habitat spécifique, ce sont les mares et étangs forestiers riches en végétation aquatique tourbeuse ou para-tourbeuse qui arrivent en tête du classement.

Les milieux urbains

 

Si la région francilienne est la plus densément peuplée de France, seulement 21% de son territoire est urbain, essentiellement concentré sur une vaste aire urbaine de 10 à 30 km de rayon autour de Paris. L’abondance et la richesse spécifique des espèces en fonction du gradient d’urbanisation est ainsi facilement observable dans notre région.

Chez les odonates, par exemple, on observe en moyenne 35 espèces dans un milieu pas ou très peu urbanisé, contre une dizaine dans un milieu urbanisé à 90%.

Ce filtre urbain s’applique également sur les papillons de jour, où seules quelques espèces dites généralistes fréquentent le cœur de l’agglomération parisienne. En causes, la capacité de dispersion des espèces de prairies, plus petites et qui pénètrent plus difficilement le tissu urbain (OLIVIER et al., 2015), mais aussi les produits phytosanitaires utilisés dans les jardins privés (MURATET et al., 2015). Les analyses du STERF (Suivi temporel des Rhopalocères de France) ont ainsi montré que, de 2006 à 2014, l’abondance en papillon a chuté de 33 % dans les parcs et jardins situés en zone urbaine (MURATET, 2016).

Parmi la flore rencontrée en milieu urbain, on retrouve les espèces rudérales que l’on rencontre notamment dans les friches, et qui comptent parmi elles 4 % d’espèces menacées. Dans les parcs et jardins, la diversité en flore est deux fois supérieure à la moyenne régionale avec 14 espèces par relevé. Dans les interstices urbains, le nombre de plantes a augmenté de plus de 90 % en l’espace de sept ans. Une dynamique très positive, même si là encore, la majorité des espèces est généraliste. Les espèces urbanophiles représentent néanmoins 14 % de la flore urbaine (VALLET et al., 2016). Cette dynamique positive et à poursuivre peut s’expliquer par un changement des pratiques en ville, principalement caractérisé par l’arrêt de l’utilisation des pesticides et herbicides sur la voie publique ainsi que par une gestion plus écologique des espaces verts.

Au sein des oiseaux nicheurs franciliens, on dénombre 13 espèces spécialistes du bâti, toutes en « Préoccupation mineure » [LC] à l’exception du Moineau friquet classé « Quasi menacé » [NT]. Si l’habitat bâti peut se calquer relativement sur l’habitat urbain, il faudra tout de même distinguer que certaines espèces privilégient les zones urbaines rurales, comme l’Hirondelle rustique ou le Moineau friquet, ou encore la simple présence d’habitations même isolées, comme le Rougequeue noir. Ainsi, si ces espèces semblent favorisées par une urbanisation croissante du territoire, leur pérennité ne s’observera qu’à travers le type d’aménagement défini et qui leur est actuellement plutôt défavorable.
L’analyse des données du STOC (Suivi temporel des oiseaux communs) pour la mise à jour de l’état de santé de la biodiversité francilienne (MURATET, 2016) a ainsi dépeint un tableau beaucoup moins favorable aux espèces spécialistes des milieux urbains. De 2002 à 2014, l’abondance en oiseaux a diminué de 22% dans les parcs et jardins urbains. Si on s’intéresse plus spécifiquement aux oiseaux spécialistes des milieux urbains, cette chute des effectifs passe à 30 % sur la même période. Ainsi, l’Hirondelle de fenêtre observe un déclin de 64 % de ses effectifs, tandis que l’abondance du Moineau domestique chute de 28 % : de nouvelles tendances qui viendront certainement modifier le statut de ces espèces lors d’une prochaine évaluation de leur degré de menace.

Les milieux humides

 

Les milieux humides représentent de forts enjeux, tant au niveau national que régional. Ayant subi une régression considérable puisque de l’ordre de 50% au cours du dernier siècle, ils abritent cependant une faune et une flore riche et remarquable aujourd’hui concentrées sur environ 2,8 % du territoire francilien. Une surface aussi réduite va accroitre la vulnérabilité des espèces qui en dépendent, même si aujourd’hui, les milieux humides relictuels sont de mieux en mieux pris en compte par les politiques publiques. Pour exemple, plus de 60 % des réserves naturelles d’Île-de-France abritent ces habitats remarquables.

Les principaux témoins de l’état de ces milieux sont les Odonates, groupe d’insectes totalement inféodé aux milieux aquatiques, puisque la larve s’y développe. Un quart des libellules est aujourd’hui menacé ou disparu, dans la région. En cause, l’artificialisation qui vient à la fois détruire (par le drainage, le comblement, …) et dégrader (par la canalisation, l’entassement de déchets, la pollution, …) les différents milieux humides, aussi bien courants que stagnants.

Chez les oiseaux nicheurs en Île-de-France, 42 espèces peuvent être considérées comme dépendantes des milieux humides. Parmi elles, plus de la moitié sont menacées ou ont déjà disparu. Cet état de conservation fortement défavorable résulte principalement du fait que, présentes sur des surfaces des réduites, les populations sont de faibles effectifs, déconnectées et avec peu de nouveaux territoires favorables à coloniser en perspective.

La flore vasculaire associée aux milieux aquatiques et humides compte 30 % d’espèces menacées, un résultat qu’on retrouve également pour les espèces déjà disparues. Si on s’intéresse plus spécifiquement aux marais et tourbière, on retrouve respectivement 8 % et 7 % d’espèces menacées dans ces milieux. Pour ce taxon, les milieux humides et aquatiques apparaissent donc comme les deuxièmes milieux à enjeux en termes de conservation.

Quelques papillons de jour sont dépendants des habitats humides, lorsqu’il s’agit par exemple de prairies inondables ou de mégaphorbiaies. Loin d’être nombreuses, ces espèces sont en revanche très spécialisées, à l’instar du Cuivré des marais [EN], du Demi-Argus [EN] ou de la Zygène des prés [DD] et représentent ainsi des enjeux de conservation uniques.

Bibliographie

 

LE ROUX X., BARBAULT R., BAUDRY J., BUREL F., DOUSSAN I., GARNIER E., HERZOG F., LAVOREL S., LIFRAN R., ROGER-ESTRADE J., SARTHOU J.P. et TROMMETTER M. (éditeurs), 2008. Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies. Expertise scientifique collective, synthèse du rapport, INRA (France). 116 p.
MURATET A., 2016. État de santé de la biodiversité en Île-de-France – Apport du programme de sciences participatives Vigie Nature. Natureparif. 22 p.
MURATET A. & FONTAINE B., 2015. Contrasting impacts of pesticides on butterflies and bumblebees in private gardens in France. Biological conservation 182:148-154.
OLIVIER T., SCHMUCKI R., FONTAINE B., VILLEMEY A. et ARCHAUX F., 2015. Butterfly assemblages in residential gardens are driven by species’ habitat preference and mobility. Landscape ecology, vol 30.
VALLET J., RAMBAUD M., FILOCHE S. et HENDOUX F., 2016. Fiche indicateur CBNBP-Indic003-IdF : Portrait de la flore en milieu urbain, Paris, Conservatoire botanique national du Bassin parisien. 17 p

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