Confinement et biodiversité

14 avril 2020ContactGrégoire Lois

La quantité de sujets portant sur les bénéfices que tireraient la biodiversité du confinement est assez inattendue. Dès le mardi 16 mars, des articles sortaient ça et là, accompagnés de sujets sur les réseaux sociaux et même de discussions effrénées par messageries entre collègues. Comme exemples les plus frappants, repris partout, un couple de Cygnes tuberculés flânant dans les canaux de Venise et deux Grands Dauphins roulant sur eux-mêmes le long des quais du port de Cagliari en Sardaigne. Le mardi 24 mars, un article publié dans National Geographic cible précisément ces deux exemples, les dément et met en garde concernant des “fake news sur le retour de la vie sauvage".

Le premier avril, s’inscrivant dans ce courant, plusieurs poissons d’avril dont celui-ci, poussant plus loin le gag: “Des baleines dans le lac d'Annecy. Conséquence inattendue de la crise du covid-19, la nature reprend ses droits, comme ici à Annecy avec le retour des baleines dans le lac, qui n'y avaient pas été observées depuis plus d'un siècle.

Enfin, le Gorafi, site parodique jamais en retard pour nous mettre sous le nez les absurdités et les incohérences de notre quotidien titre le 2 avril “La nature reprend ses droits” par un couple de parisiens devant deux pigeons”.

 

Qu’est-ce qui motive cet intérêt pour le vivant de la part des médias et des confinés que nous sommes ? 

Il semblerait bien qu’à la faveur de ce désoeuvrement, les liens que nous entretenons avec la nature se resserrent. Le temps libre laissé par ces journées démesurées de 24h (!) semble favoriser cette contemplation. Huit heures de télétravail ne suffisent qu’à occuper un tiers de cette journée débarrassée des temps de transport et des interactions sociales. Le temps s’écoule péniblement. Dehors, c’est le printemps, autant dire la cohue et l’effervescence à tenter de se reproduire, sous forme de graines, de larves, d’oeufs… Un spectacle permanent !
En temps normal, il est difficile d’y prêter attention. C’est l’affaire des naturalistes. A contrario, en ce moment, il est presque difficile d’y échapper, ne serait-ce que parce que dans ces espaces physiques et sonores presque intégralement débarrassés de tout signe d’activité humaine, le moindre mouvement et le moindre son, la moindre odeur non artificielle même, prend de l’importance. Et offre l’occasion de porter son attention sur des phénomènes finalement réguliers, reproduits chaque année.

Cette situation sans précédent, entraîne un resserrement des liens qui nous unissent au sauvage, particulièrement distendus dans nos sociétés. D'où cette effervescence dans l’émission et la circulation d’informations, sur le retour de la nature à laquelle se mêlent quelques fantasmes mais aussi beaucoup de vérités. Il reste à souhaiter que cette quasi-(re)découverte du vivant qui frappe les citadins prenne un caractère durable, afin que les enjeux de conservation montent de quelques crans dans les priorités collectives.

Un impact réel sur la nature ? 

A ce nouveau regard porté sur un printemps pas comme les autres s’ajoute la réponse de la nature elle-même à cette libération des espaces. Dans une cour d’école, en temps de non-confinement, les mésanges, les merles, les moineaux et autres espèces d’oiseaux adaptent leur rythme d'activités quotidiennes à celui des récréations et des jours de fermeture. Il suffit d’habiter près d’une école et de s’intéresser aux oiseaux pour s’en apercevoir. Mais surtout, il suffit d’avoir échangé avec un enseignant ayant mis en place un des observatoires de sciences participatives consacrés à l’observation des oiseaux tels que Birdlab ou Oiseaux des jardins pour constater que cette adaptation des oiseaux à un environnement contraint périodiquement est généralisée à tous les établissements scolaires.

Le confinement crée toutes les conditions pour que s’exprime cette plasticité du vivant qui le conduit à très rapidement occuper des espaces laissés libres. Dans le cas présent, le silence et la tranquillité des avenues, des parcs, des routes et autoroutes résultant de l’arrêt presque total de nos activités laisse une place habituellement indisponible à la faune et à la flore. Des chevreuils et sangliers flânent, traversent routes habituellement infranchissables. En ville, les scènes spectaculaires d’animaux d’habitude farouches et évitant à tout prix de croiser les êtres humains se multiplient, relayés par une armée de spectateurs équipés pour filmer et sensibles au moindre mouvement, prêts à s’émerveiller de toute scène jugée insolite parce que trop rarement observée. 

Des ressources habituellement inaccessibles permettent donc l’accès aux espaces physiques et sonores par relâchement de la pression due à nos activités. En contrepartie, en ville, beaucoup d’espèces vivent en commensales de l’homme, bénéficiant de l’immense quantité de déchets que nous laissons ça et là. Comment se nourrissent les pigeons et moineaux domestiques habitués des zones les plus fréquentés et des gares ? Que consomment les rats surmulots qui profitent des nuits parisiennes pour débarrasser les trottoirs de nos déchets ? On sait que leur consommation annuelle de 90 kg de déchets par individu rend service à la communauté, d’autant plus qu’on estime leur population intra muros a plus de deux millions. Des égoutiers interrogés ont aussi indiqué que l’activité de ces rongeurs assure un entretien indispensable aux voies souterraines d’évacuation des villes. Contrairement aux oiseaux capables d’aller chercher des ressources plus loin jusque dans les campagnes, la capacité de déplacement de ces petits mammifères est contrainte par leur mode de locomotion.

Un possible impact ?

De la spéculation à ce stade, mais peut-être une occasion inespérée de constater quantitativement leur contribution à nos activités.

Concernant les plantes, l’effet de la diminution d’une part de la gestion et d’autre part de la circulation tant pédestre que routière prend des allures spectaculaires ! Le printemps s’épanouit chez les végétaux ! Les trottoirs verdissent par touches. Peut-être une occasion pour favoriser encore plus l’acceptation en cours de pieds d’arbres et d’interstices non désherbés, dont on sait qu’ils génèrent encore des plaintes auprès des services municipaux urbains.

Dans les campagnes, business as usual concernant les activités agricoles,quasiment. L'absence du dioxyde d'azote émis par le trafic dans l'atmosphère n'a fait que mieux ressortir, dans les mesures d'AIRPARIF, les traces d'ammoniac et de particules fines issues de ces activités, pollution atmosphérique à l'ammoniac et aux microparticules d’origine agricole surtout entre le 15 et 20 mars puis les 27 et 28 mars, des traces ressenties notamment par les enfants que j’ai entendu dire “ça sent comme à la ferme auberge en Alsace”. 

Les déplacements ont chuté drastiquement aussi dans les milieux ruraux. Hors le coût pesant sur les populations de vertébrés des collisions dues à la circulation routière, les limitations aux déplacements que celle-ci engendre peuvent être élevées. C’est connu chez les hérissons et autres mammifères qui bénéficient sans doute de cette courte accalmie. Chez les amphibiens, très touchés lors de leurs migrations de reproduction, le confinement a démarré un peu après le pic des déplacements en plaine, et on peut sérieusement douter d’un bénéfice sur la survie des adultes. Si cette situation perdure, les jeunes pourraient en profiter mais chez les espèces faisant de grands déplacements comme le crapaud commun (ou épineux), la stratégie de reproduction est de produire des centaines de jeunes dont très peu atteindront l'âge adulte. Dans ce cas, il est peu probable que les écrasements par circulation routière soient le principal facteur de mortalité.

Pour le reste du vivant, les invertébrés et particulièrement les plantes, c’est la grande inconnue. Un reportage particulièrement sombre indique qu’à la faveur du confinement et donc de l’arrêt des surveillances, les pollutions intentionnelles des cours d’eau, par déversements, se multiplient dans l’ouest du pays. 

L’arrêt des fauches d’entretiens conduira peut-être à l’augmentation des ressources en pollen et en nectar. Les pollinisateurs et parmi eux les papillons pourraient en bénéficier. Mais, il s’agit encore de projections très incertaines.

Un difficile bilan objectif 

Pour établir un bilan global précis et objectif, des outils déjà anciens sont à disposition pour que chacun puisse contribuer au recueil de données standardisées à grande échelle. Il s’agit des divers programmes de sciences participatives dont les analyses permettront, toutes choses égales par ailleurs, de mettre en évidence les effets de ce confinement sur le vivant. Ces initiatives permettent de mettre en évidence les dynamiques et les mécanismes régissant les espèces les plus abondantes. Une de leurs particularités, compte tenu de leur échelle et de la masse des données récoltées, est de décrire l’état des lieux mais aussi de faire émerger des phénomènes insoupçonnés.

Puisque nous ne consacrons plus des heures à nous déplacer et à sortir chaque jour, c’est l’occasion de transformer ce nouveau regard sur la nature en contribution à ces projets de sciences participatives. Plusieurs sites tentent de stimuler la participation et l’apport de nos regards. Une opportunité unique à ne pas rater, d’autant plus intéressante qu’elle a lieu au printemps alors que les médias le clament “la nature reprend ses droits”.

Qu’est-ce que cette histoire de droits de la nature qu’elle reprendrait à la faveur du confinement ?

Un droit de la nature mentionné ça et là dans les médias, brandi en étendard, comme une formule toute faite ou du moins consacrée.
Il ne s’agit pas d’entamer ici une réflexion complexe à propos de la nature comme potentielle personne juridique ou du rapport d'assujettissement que nous entretenons avec cette dernière, bien au delà de nos nécessités de mammifères. Néanmoins cette formule peut être vue sous un angle révélateur et être l’occasion d’une forme de prise de conscience. Si la formule a autant de succès à la faveur de cette situation de confinement limitant en grande partie nos activités, c’est une reconnaissance quasi explicite du fait que ces activités privent la nature d’une partie de “ses droits”. En d’autres termes, c’est une occasion de plus à saisir pour une reconnaissance d’une crise de la biodiversité en cours. Et en conséquence, c’est aussi une opportunité à tenter d’imaginer comment enrayer cette crise.

Comme souvent, notre regard sur la nature nous en apprend plus sur nous que sur elle.

Un regard de béotien, un émerveillement ou du moins un étonnement à l’arrivée du printemps mais surtout une prise de conscience de l’intensité des manifestations du vivant et de nos impacts indirects, du simple fait du quotidien de notre de vie. Voilà ce qu’on pourrait conclure de cette tentative d’état des lieux concernant le confinement et la biodiversité. Nous en savions peu, le spectacle nous échappe habituellement. Mais là, nous avons une occasion unique de créer de l’empathie avec les autres membres de la grande communauté du vivant. 

Tentons une expérience. Il y a presque tout juste un an, le 19 avril 2019, des millions de mouches créaient l’effarement à Calais et sur la Côte d’Opale. Des conditions météorologiques exceptionnellement chaudes et des mouvements de masses d’air ont créé les conditions pour que cette nuée inoffensive se produise. Parmi les espèces observées, des mouches noires, au vol un peu mou et aux pattes pendantes, les Mouches de la Saint-Marc. Bien nommées, ces insectes apparaissent chaque année aux alentours de la Saint Marc, le 25 avril, souvent en très grande quantité. On reconnaît les mâles à leur tête globuleuse et presque limitée aux yeux tandis que celle des femelles est réduite. Elles survivent un peu plus longtemps à leurs partenaires mais ne sont déjà plus présentes un mois après l’émergence. Cette dernière est si brutale et peut prendre un caractère si spectaculaire que, selon les pêcheurs à la mouche, “il est illusoire d’utiliser un autre appât durant la période d’apparition de ces insectes tant les truites ne consomment rien d’autres, victime d’une frénésie alimentaire dans les cas les plus spectaculaires”. Cette espèce est aussi très commune dans Paris, et les premiers mâles sont apparus il y a déjà une semaine. 

Voyons si cette année, dans ces conditions si particulières, l’éclosion est l’occasion de découvrir la bête autant que de prendre conscience de notre cohabitation au vivant, en plus que de déclarer que la nature reprend des droits qu’elle tente d’exercer chaque année malgré nous.

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