Quel potentiel de renaturation en Île-de-France ?

Note rapide Biodiversité, n° 966

02 décembre 2022ContactMarc Barra, Gaëtane Debœuf De Los Rios Serrano, Gwendoline Grandin

L'Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France (ARB ÎDF) a développé une méthode inédite permettant aux collectivités d'identifier les zones urbaines à fort potentiel de renaturation. Reconquête de la biodiversité, adaptation au changement climatique et amélioration de la santé sont les trois enjeux auxquels les stratégies de renaturation devront répondre.

Pas moins de 27 000 hectares ont été consommés chaque année en moyenne par l’urbanisation entre 2009 et 2019 dans l’Hexagone. La France est le pays européen qui artificialise le plus ses sols, à un rythme quatre fois supérieur à celui de l’augmentation de la population. Ce phénomène est aujourd’hui l’un des principaux facteurs de l’accélération du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. L’Île-de-France, région française la plus urbanisée (22 % d’espaces urbains), est particulièrement concernée, même si sa consommation foncière apparaît maîtrisée, avec moins de 4 % de la consommation nationale annuelle d’espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF), autour de 880 hectares par an entre 2012 et 2021. L’introduction de l’objectif national Zéro artificialisation nette (ZAN), en 2018, marque la volonté de freiner l’étalement des villes, en privilégiant le renouvellement urbain et la densification. En parallèle, la mise en oeuvre du ZAN engage un objectif de renaturation, autrement dit de « restituer à la nature » l’équivalent des superficies consommées par l’urbanisation. Au-delà de cet équilibre « comptable », la renaturation doit permettre de revenir sur l’artificialisation passée et d’augmenter l’offre en espaces de nature dans une métropole francilienne fortement carencée.

Freiner l’urbanisation des terres naturelles, agricoles et forestières, et renaturer le milieu urbain sont ainsi deux stratégies complémentaires. Elles se posent avec d’autant plus d’acuité que la biodiversité décline fortement au sein des villes, que les effets du changement climatique (ruissellement, inondations, canicules, etc.) s’amplifient, et que la santé et le bien-être se dégradent dans les métropoles. Or, nos villes regorgent d’espaces inutilement asphaltés ou bétonnés, sur lesquels la nature pourrait reprendre ses droits. Ce gisement pourrait être mobilisé pour agrandir les espaces de nature, les relier entre eux, aménager des zones humides et rouvrir les rivières urbaines, ou simplement créer de nouveaux espaces de nature pour la population. Afin de relever ce défi, les collectivités ainsi que leurs partenaires publics et privés ont besoin de localiser les secteurs à renaturer en priorité.

LES ZONES DE RENATURATION PRIORITAIRES

La méthode Regreen, développée par l’ARB ÎdF dans le cadre du projet européen éponyme, permet d’identifier les zones de renaturation prioritaires en milieu urbain au regard de trois enjeux majeurs : la reconquête de la biodiversité, l’adaptation au changement climatique, et l’amélioration de la santé et du cadre de vie. Pour ce faire, chacun de ces enjeux a été étudié à l’aide de critères sélectionnés à partir de la littérature scientifique et de nombreux échanges avec des experts, et selon la disponibilité des données à l’échelle francilienne. L’enjeu « reconquête de la biodiversité », visant à localiser les zones urbaines défavorables à l’accueil de la biodiversité, a été analysé à partir de la surface de chaque espace végétalisé, du pourcentage du couvert végétalisé et de la présence d’habitats rares sur le territoire. L’enjeu « adaptation au changement climatique » a été étudié en identifiant les zones les plus exposées au risque d’inondation par crue, au ruissellement et au phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU). Enfin, l’enjeu « amélioration de la santé et du cadre de vie » cible les zones carencées en espaces verts, avec une importante pollution de l’air et des problèmes de santé liés aux ICU.

Les analyses ont été conduites à partir d’un système d’information géographique (SIG). Le territoire francilien a été découpé en mailles de 125 mètres de côté. Les différents jeux de données disponibles à l’échelle régionale ont permis d’attribuer un score en fonction de l’enjeu à renaturer pour chaque maille. Ainsi, il est possible en Île-de-France de localiser les zones urbaines où les opérations de renaturation sont à réaliser de façon prioritaire selon l’enjeu (biodiversité, changement climatique ou santé-cadre de vie). Les résultats sous forme de cartes, à l’échelle de la Métropole du Grand Paris, sont présentés ci-dessous.

 

 

 

CROISEMENT DES ZONES À ENJEU AVEC LES SITES IMPERMÉABILISÉS DU MOS

Dans l’absolu, quasiment tous les espaces urbains pourraient faire l’objet d’une renaturation. Pour autant, afin d’avoir le gain écologique le plus fort possible, il est préférable de cibler les espaces imperméabilisés (recouverts par du bâti, de l’asphalte ou du bitume) dont la renaturation permettrait le retour à la pleine terre. La seconde étape de la méthode Regreen permet le croisement entre les zones de renaturation prioritaires et plusieurs postes du Mode d’occupation des sols (Mos) de L’Institut Paris Region. Cette étape permet de faire ressortir différents types de surfaces imperméabilisées. Il s’agit, par exemple de places publiques, de cimetières, de zones abandonnées bétonnées, de cours d’immeuble, de parkings, de cours de récréation, etc. Au-delà du Mos, d’autres bases de données (ex. friches, berges minéralisées) pourront être mobilisées à l’avenir et croisées avec les zones à enjeu de renaturation. Bien que ces croisements nécessitent d’être affinés sur le terrain, ils offrent une première estimation quantitative (en surface et en nombre de sites) du potentiel de renaturation, et ce, à plusieurs échelles (commune, intercommunalité, département, etc.).

Ce potentiel devra être affiné avec des vérifications et des inventaires de terrain, et arbitré en fonction des faisabilités techniques. Par ailleurs, les critères utilisés dans la méthodologie reflètent les données actuellement disponibles. Ils pourront être enrichis ou complétés dans le futur. Pour les collectivités, ces données peuvent d’ores et déjà constituer une aide pour définir une stratégie de renaturation cohérente, afin de relever un seul, deux ou trois des enjeux.

AIDER LES COLLECTIVITÉS À DÉFINIR UNE STRATÉGIE DE RENATURATION

Alors que 75 % de la population française vit dans des zones urbaines, de nombreuses métropoles sont d’ores et déjà confrontées aux conséquences de la surdensité et de la minéralité. Les stratégies de renaturation font partie des solutions pour renforcer la place de la nature en ville, dont les bénéfices ne sont plus à démontrer, que ce soit en matière d’adaptation au changement climatique (gestion de l’eau, rafraîchissement…), de santé publique (qualité de l’air, offre en espaces récréatifs…) ou de support pour de nombreuses espèces, dont l’abondance a fortement décliné ces dernières années.

La méthode Regreen vise à aider les collectivités à cartographier les zones à enjeu sur des bases scientifiques et à identifier les sites minéralisés pouvant accueillir des opérations de renaturation. L’ensemble des résultats sont disponibles en ligne sous forme de cartes interactives. De nombreuses applications peuvent découler de cette analyse. À leur échelle, les collectivités pourront s’en inspirer afin de tendre vers l’objectif ZAN et définir des « zones à renaturer » au sein de leurs documents d’urbanisme : Schéma de cohérence territoriale (SCoT), Plan local d’urbanisme (PLU)… Au-delà des démarches opportunistes (les cours d’école, par exemple), l’application de la méthodologie peut inciter les collectivités à mettre en oeuvre des stratégies de renaturation plus cohérentes sur l’ensemble de leur territoire. La méthode peut également nourrir la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » (ERC) et aider les porteurs de projets à identifier des sites minéralisés pouvant accueillir des mesures compensatoires, contribuant ainsi à un gain supérieur. Enfin, dans le cadre de la révision du Schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif), cette méthode peut permettre de définir des zones de renaturation prioritaires dans le projet cartographique et tendre vers une métropole nature.■

 

QU’EST-CE QUE LA RENATURATION ?
Au sens large, la renaturation renvoie à des actions intentionnelles ou non pour restaurer des écosystèmes qui ont été dégradés, endommagés ou détruits par les activités humaines. Dans le cadre de l’objectif zéro artificialisation nette, la renaturation est définie comme «des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé». La renaturation est parfois confondue avec la désimperméabilisation, qui consiste uniquement à redonner une perméabilité à la couche superficielle du sol, souvent grâce au recours à des revêtements poreux et drainants. Elle est un préalable indispensable mais insuffisant à la restauration des fonctions écologiques du sol. La renaturation implique donc le retour à la pleine terre. Les aménagements hors-sol (toitures végétalisées, potagers urbains en bacs, espaces végétalisés sur dalle, murs végétalisés modulaires, etc.), qui peuvent participer à une meilleure gestion des eaux pluviales, n’entrent pas dans la catégorie des espaces renaturés.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement | Foncier | Projet européen REGREEN | Solutions fondées sur la nature (SFN) | Renaturation

Carte interactive : Où renaturer en Île-de-France ?

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