Où sont les hirondelles ?

10 avril 2018ContactGrégoire Lois

Ce printemps 2018 est marqué par le faible nombre d’oiseaux migrateurs de retour d’Afrique. Du fait des changements climatiques et de l’intensification des systèmes agricoles, les migrateurs transsahariens, insectivores, font partie des oiseaux dont le déclin est le plus marqué en Europe. Cette année, des vents du nord persistants et de fortes tempêtes de sable au-dessus du Sahara ont vraisemblablement perturbé la migration et engendré des retards d’arrivée perceptibles partout en France. L’Hirondelle rustique fait partie des espèces qui ont été le plus touchées, et les observations transmises par les ornithologues ont été divisées par deux cette année.

Quelques mois après la communication du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et du CNRS sur le déclin des oiseaux des champs, les observateurs attentifs l’ont tous constaté : les hirondelles se font rares cette année. Une impression qu'il est possible de confirmer scientifiquement en s'appuyant sur les données du Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC).

Effondrement des effectifs

 

Les résultats, sous réserve des limites méthodologiques énoncées en fin d'article, confirment un effondrement des effectifs d’Hirondelle rustique en 2018, et une forte baisse des effectifs des deux autres espèces d’Hirondelles. Une autre espèce de passereau est particulièrement concernée par cet effondrement : la Bergeronnette printanière.

Les ornithologues ont également ressenti une baisse sensible pour de nombreuses autres espèces migratrices au long cours ce printemps, mais il est probable que le comportement consistant à renseigner plus fréquemment une espèce lorsqu’elle se fait rare, évoqué plus haut, ait empêché de rendre apparente cette baisse. Une partie de ces oiseaux semblent également être arrivés plus tardivement cette année. C’est en particulier le cas du Martinet noir, du Rossignol philomèle ou du Rougequeue à front blanc. Rien de semblable cependant avec la baisse des hirondelles.
Il nous faudra attendre les résultats du STOC 2018 pour avoir une vision fiable de la situation.

Pourquoi, alors, les hirondelles se font-elles rares cette année ?

L’hypothèse est la suivante. Contrairement aux autres passereaux migrateurs transsahariens, les Hirondelles, comme, d’ailleurs, une partie des Bergeronnettes printanières, volent à faibles altitudes et surtout de jour. Les autres espèces ont tendance à adopter une stratégie consistant à s’élever à 2 km, parfois 4 km de haut pour migrer toute la nuit durant.

Or ce printemps a été marqué par des vents du nord dominants et de fortes tempêtes de sable dans le Sahara. Les vents adverses ont causé un retard important pour la majorité des migrateurs. Des tempêtes de sable particulièrement violentes ont eu lieu à la fin du mois de mars, en pleine période de migration d’hirondelles. Celles-ci peuvent surprendre les hirondelles lors de leur migration en basse altitude et être très meurtrières. Des hécatombes de dizaines de milliers d’individus ont déjà été rapportées par des habitants suite à un tel évènement.

Le groupe de recherche sur les Busards aux Pays-Bas vient de rapporter un fait qui vient appuyer cette hypothèse : sur les 10 Busards cendrés suivis équipés d’émetteurs GPS, 5 au moins sont morts durant la traversée du Sahara ce printemps, et presque tous ont essuyé de grandes difficultés à franchir cet obstacle, effectuant des demi-tours et d’énormes contournements. Ces rapaces ont la particularité de migrer à basse altitude, comme les hirondelles.

Il ne s’agirait donc vraisemblablement que d’un « accident » lié à des conditions météorologiques particulièrement hostiles durant la migration printanière. D’autres facteurs peuvent avoir joué un rôle important : une faible disponibilité alimentaire en fin d’hivernage fragilise les oiseaux avant leur départ en migration, et cela a été démontré pour les busards ; une mauvaise reproduction l’année précédente a nécessairement un effet sur le nombre d’individus de retour l’année suivante.

Cependant, cet accident arrive dans un contexte particulièrement mauvais pour ces espècesL’Hirondelle rustique subit un déclin continu, imputable aux changements climatiques et aux pratiques agricoles. L’abandon de l’agriculture paysanne au profit de grandes cultures intensives et de l’emploi immodéré de pesticides entraîne la raréfaction de leurs proies et des fermes dans lesquelles nicher. Quant au climat, il a été défavorable à la reproduction de l’espèce au cours des trois dernières années : deux épisodes caniculaires en juin 2015 et 2017 ont provoqué une surmortalité des poussins dans les nids, et à l’inverse, le mois de juin 2016 extrêmement pluvieux a empêché les adultes de leur trouver suffisamment de nourriture.

Cette espèce a perdu 40% de sa population francilienne sur la période 2004-2017, d’après les résultats du STOC. La tendance est semblable au niveau national. Guy Jarry, ex-directeur retraité du Centre de Recherche sur la Biologie des Populations d’Oiseaux (CRBPO) du MNHN, étudie les Hirondelles rustiques dans le nord de la Brie depuis près de 50 ans et parle d’un effondrement des populations depuis les années 1970. Il qualifie la situation de dramatique.

Alors qu’au sein d’une population en bonne santé des évènements aléatoires tels qu’une tempête ou une maladie n’engendrent que des « accidents » démographiques, ils peuvent emmener une population fragilisée sur la voie de l’extinction. Espérons que nous n’en soyons pas encore là, car des printemps sans Hirondelles constitueraient le signe définitif d’une planète bien triste que nous aurons réussi à détruire à petit feu. 

Méthodologie

Le jeu de données habituellement mobilisé pour ce genre d'analyse est le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC), standardisé afin de permettre une exploitation des données robuste. Celui-ci est en cours d’acquisition pour l’année 2018. 

Les observateurs ont le choix de déposer leurs observations « tout venant », c’est-à-dire faites au gré de leurs activités ornithologiques, sans standardisation commune, dans l’une des deux bases de données franciliennes, Faune Île-de-France (administrée par la LPO Île-de-France) et Cettia Île-de-France (administrée par l’ARB Île-de-France). 

Sur la période s’étendant du 1er avril au 31 mai de cette année, environ 100 000 données d’observations d’oiseaux  de diverses espèces y ont été déposées par les observateurs. En utilisant ces totaux pour cette même période chaque année depuis le lancement de ces bases de données, il est possible de comparer la proportion d’hirondelles dénombrées, c’est-à-dire de récupérer l’abondance relative. Ce genre d’analyse repose sur une hypothèse assez lourde : que le comportement des observateurs ne varie pas d’une année sur l’autre. Concernant les espèces communes, c’est assez vraisemblable, mais lorsqu’une espèce paraît plus rare, les observateurs ont tendance à la rechercher et à la noter plus systématiquement. Les tendances à la baisse sont donc généralement sous évaluées par ce type d’analyses.

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